J'avais beaucoup d'arguments pour défendre mon vieux diesel atmo.
Le moteur était dit fiable. D'un fonctionnement simple et intuitif. On pourrait toujours le réparer. Les atmos, ces vieilles bécanes sympas rendues obsolètes par une industrie trompeuse avançant à marche forcée. L'hdi lui, c'est un peu le couteau électrique de l'automobile. On le retrouverait bradé sur les brocs. Une vrai daubasse, un nid à problèmes.
Entendons-nous bien. Le gazole EST et RESTERA sale. J'en ai touché : c'est gras.Je préfère mille fois prendre le train. Mais quand ce n'est pas possible ? La bagnole.
Toujours est-il que mon atmo avait frôlé la casse une paire de fois. Pour être honnête c'était une vraie enclume, une carcasse de scaphandre lesté qui a bien failli entraîner mes finances aux abysses. Je l'aimais beaucoup malgré tout. Quand j'ai réussi à m'en débarrasser, ce fut néanmoins un vrai soulagement (il finit tranquillement sa vie de bagnole en bord de Vienne).
C'est donc triomphant au volant de ce nouveau (mais déjà suranné) hdi que je passai chercher Brice à l'aube de cette journée d'Avril. C'était en 2021, on avait chacun notre petit papier signé pour aller jusqu'en Dordogne. Un banal déplacement aurait-on dit quelques années plus tôt. Mais voilà, il y avait dans cette aventure un petit goût de liberté dont on avait tant manqué depuis quelques temps.
Sertie sur un coteau dominant l'Isle, la chapelle de Montignac revêt ce charme désuet propre aux églises qui ne servent plus trop. Délaissée peu à peu par sa fonction initiale, elle diffuse un sentiment rassurant d'invariabilité architecturale. C'est un repaire minéral sympa, un refuge frais à taille humaine. Elle abrite en son chœur un bel orgue, lui aussi de taille quasi-miniature, dont la façade boisée se cache derrière deux volets à croisillons.
C'est sans doute par l'entremise de cet orgue que mon amie Prune avait rencontré la chapelle. De manière générale, et entre autres choses, Prune fréquente les orgues. Au détour d'une conversation quelques mois plus tôt, je lui avais évoqué mon souhait d'enregistrer dans une acoustique signée et réverbérante. Elle avait aussitôt pensé à ce lieu. J'ai dit banco.
Je connais peu les paons. J'arrive néanmoins à en reconnaître un quand je le croise. Cette chapelle était cernée de paons, élevés par les habitants de la bâtisse d'en face. Manifestement Avril est un moment stratégique pour les paons. Les mâles arborent leurs plus beaux atours. Ils se défient les uns les autres en déployant leur éventail azuré aux mille ocelles. Les plus grands individus observés autour de la chapelle atteignent trois mètres d'envergure, et je n'exagère pas. C'est très impressionnant pour quelqu'un qui comme moi fréquente seulement les quelques espèces qui nichent à Saint-Pierre-des-Corps.
Ce qui choque chez les paons, c'est le contraste entre la beauté ostentatoire de l'habit, et la laideur troublante de ce cri étranglé qu'ils vocifèrent le plus souvent sans raison apparente. Il est difficile de s'envisager à la place d'un paon au moment des amours. Il semble éprouver un certain nombre de contrariétés, dont on pourrait peut-être s'émouvoir si l'animal chantait comme un merle. Mais non. Figurez-vous que le paon braille. Ni plus ni moins.
Au XIVème siècle, l'isolation phonique n'était probablement pas une préoccupation prioritaire dans la construction des édifices religieux. Ni joints sur les massives portes de chêne, ni double-vitraux. Je ne parle même pas des toits qui peinent déjà à abriter de la pluie. Mastic et PVC viendront plus tard, à peu près en même temps que les diesels atmo. Il a donc fallu composer avec le paramètre paon-qui-braille. Pour info, nous avons noté qu'ils sont généralement plus calmes à partir 17h.
Hormis quelques Angelus, criailleries et tondeuses, j'ai donc eu largement l'espace, tant volumique que temporel, de jouer ce que j'avais à jouer. Et Brice d'enregistrer ce qu'il avait à enregistrer.
On a fini à l'heure, on a plié nos gaules, on a dit au revoir à Prune (je lui offrirai plus tard des chocolats).
On est revenus en combi hdi, option régulateur de vitesse. On a écouté mes mp3 de D'Angelo sans percevoir les basses, tout à l'imagination. J'ai fait un point à l'arrivée sur la consommation de gazole, c'était décevant.
L'enregistrement, lui, est réussi de mon point de vue.
Je passe sur la deuxième session d'enregistrement à la Grange du Pierron, ça commence à faire lourd en carbone cette histoire.
Mon nouveau disque est disponible dès aujourd'hui en CD et en numérique chez Ormo Records, Gigantonium et Capsul Records. Et très bientôt chez les Allumés du Jazz.
La distribution numérique est assurée par Atypeek Music, vous pourrez retrouver le disque en numérique sur les plateformes dédiées.
Je remercie chaleureusement Brice Kartmann, Marilou Turmeau, Théo Merigeau, Hsiao-Yun Tseng, Krishna Sutedja, Jeremie Abt, Prune Bécheau, Cécile et Grégo de la compagnie Jeux de Vilains, Guiom Virantin, Tony Bernoist et Arnaud Fièvre, les membres du Capsul Collectif. Une pensée pour Greg Gensse.